Quel scénario (vraiment) frugal pour nos usages numériques en 2050 ?
Dans un contexte de croissance excessive de nos usages numériques, peut-on imaginer un futur qui passerait par une stabilisation ou une réduction de l’empreinte carbone du secteur ? Poser le débat apparait comme une nécessité, une urgence. Ces réflexions occupent largement les réflexions du Liflab, et se rappellent à nous à la lecture d’une étude ADEME qui décline 4 scénarios prospectifs, à l’horizon 2050, pour atteindre la neutralité carbone du secteur numérique. Ce « feuilleton » numérique d’une cinquantaine de pages s’inscrit dans le travail de prospective énergie ressources « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat ». Décryptage.
Dans son feuilleton numérique (étude ici), L’ADEME décline 4 scénarios prospectifs pour atteindre la neutralité carbone du secteur numérique d’ici à trente ans. L‘étude s’appuie sur quatre modèles de société conçus dans le cadre de l’exercice « Transition(s) 2050 » : S1 « Génération frugale », S2 « Coopérations territoriales », S3 « Technologies vertes » et S4 « Pari réparateur ». Les modèles de société sont déclinés à l’échelle du secteur numérique et sont comparés au scénario tendanciel. Les scénarios vont d’une approche lowtech (S1) à un usage massif de l’IA et de l’IOT (S4), c’est-à-dire, ce vers quoi nous tendons sans une inflexion drastique de nos usages.
Nous nous intéresserons ici au scénario S1 « Génération frugale », en lien avec les convictions du Laboratoire d’Innovation Frugale. En effet les scénarios les moins optimistes semblent s’affiner et se confirmer en matière de réchauffement climatique. Contribuer à son enraiement dans le secteur du numérique nécessite dès aujourd’hui une inflexion drastique de nos usages, ou tout au moins des consommations de ressources associées, notamment énergétiques (induites par le stockage, le transfert de données, les infrastructures, les terminaux…).
Selon le cadrage de cette analyse, si rien n’est fait pour réduire son empreinte environnementale (= scénario tendanciel), « l’empreinte carbone du numérique français pourrait tripler entre 2020 et 2050 et représenter plus de 49 Mt CO₂eq (Graphique 1). La consommation électrique du numérique en France augmenterait quant à elle d’environ 80 % pour atteindre 93 TWh, soit l’équivalent d’environ 20 % de la consommation d’électricité française actuelle […] »
Bien entendu ces projections si situent à la frontière de nos usages futurs, entre réduction drastique (S1 Génération frugale) et augmentation exponentielle (S4 Pari réparateur), et pourraient induire respectivement une division par deux par rapport à 2020 (soit 9,3 Mt CO2eq et moins 75% de consommation électrique pour atteindre 12 TWh) ou… quintupler par rapport à 2020 (soit 81 Mt CO2eq avec un triplement de la consommation électrique par rapport -> 137 Twh). Voilà pour l’énergie.
Concernant la consommation de matières premières, toujours selon le scénario tendanciel (-> on ne change rien), nous devrions mobiliser, à l’horizon 2050 et à l’échelle françaises, trois fois plus de ressources qu’en 2020 pour atteindre environ 180 Mégatonnes.
Quelques constats dressés par l’ADEME viennent confirmer les pressentis : les terminaux représentent, avec les datacenters, la majorité de l’empreinte carbone. Ce sont ces mêmes terminaux (ordinateurs, box, téléphones…) qui sont les principaux consommateurs de métaux rares et ressources durant leur phase de fabrication.
Toujours selon l’étude, la seule manière d’endiguer la tendance consisterait sans surprise à mettre en place des politiques de sobriété énergétique, à infléchir le nombre d’équipements, prolonger leur durée de vie et à interroger l’utilité réelle de tout nouveau produit et service !
En ce sens, et dit autrement, nos usages individuels compteront énormément. Est-ce par ailleurs utile de rappeler que en termes de numérique responsable, le comportent le plus vertueux, comme en matière de consommation d’énergie reste la réduction et donc l’évitement, tant en matière de services consommés que de terminaux. Et de rappeler ici que les flux vidéo représentent 80% de l’augmentation du volume annuel des flux de données mondiaux… Considérant bien entendu que nous ne regardons (pas) que des vidéos à usage professionnel ou « d’utilité » sur nos smartphones ?
Alors est-ce possible d’infléchir la tendance ? De diviser par deux l’empreinte carbone du numérique français à horizon 2050 ? Selon le scénario S1 « génération frugale » prospecté par l’ADEME, cette inflexion serait induite par un contexte de sobriété numérique généralisée (sociétale et individuelle) et drastique avec des « transformations profondes dans la façon de penser les équipements, leurs durées d’usage, leurs modes de consommation (achat, usage, etc.), mais également pour les services, la façon de les concevoir, d’intégrer les principes de leur exploitation et de leur consommation par les usagers ».
Ce scénario s’accompagnerait d’une émergence des lowtech, et un optimisme techno-centré impliquant des consommations énergétiques divisées par trois des terminaux et des datacenters, à espace physique de stockage égal.
Dans ce scénario l’allongement de la durée de vie des équipements serait de 2 ans supérieur à 2020 avec une généralisation du recours à des appareils reconditionnés, le développement de la location des équipements (économie de la fonctionnalité) ainsi qu’une systématisation de l’écoconception des terminaux et logiciels.
Le scénario nécessiterait par ailleurs une réduction drastique, de l’ordre de 50% des loisirs numériques consommés par habitant, notamment à travers une sensibilisation (très) importante des usagers […].
Dans l’espace publique ? Ecrans publicitaires numériques interdits, stabilisation du nombre d’objets connectés ou restreint à ceux nécessaires au développement de la e-santé.
Dans cette perspective chaque habitant disposerait d’un seul téléphone mobile, avec un ordinateur portable et une télévision par foyer. La mutualisation des équipements et la sobriété permettrait la disparition des ordinateurs fixes, des tablettes, des écrans d’ordinateurs secondaires et la division par 3 du nombre d’imprimantes.
En matière de réseau la fibre serait privilégiée, la consommation de données sur les réseaux mobiles réduite, avec un renforcement du recours au wifi et des accords d’itinérance croisés pour limiter les points hauts (eux-mêmes plus largement mutualisés). La technologie 5G serait mise en œuvre de manière plus mesurée, avec la 4G conservée jusqu’en 2045 et les générations suivantes non mises en œuvre !
L’’étude contient des informations et données chiffrées très précises sur l’établissement du diagnostic à date et les scénarios prospectés.
Voilà pour les tendances d’une inflexion « frugale » de nos usages numériques avec réduction par deux de l’empreinte carbone associée d’ici à 2050… Alors prêt à relever le défi sur vos usages personnels ?